Qu’est-ce qui peut influencer une décision d’achat ? Peut-être une publicité, une documentation bien faite ou un article de presse. Peut-être aussi le conseil d’un proche, voire le témoignage d’un autre acheteur ou d’un expert. Bref, des contenus ou des avis (supposés) pertinents. À la croisée de ces deux axes, les influenceurs s’affirment comme les acteurs d’un nouveau marketing dit « d’influence ».
Très tôt, les marques ont appris à associer leur image à celle de célébrités qui pouvaient leur servir d’intermédiaires auprès du public : Eddy Merckx vantant un anorak ou Johnny Hallyday une limonade, dans des publicités des années 70…
Encore mieux si la personnalité en question est reconnue pour son expertise du produit concerné. C’est par exemple le chef étoilé Paul Bocuse posant pour les cuisinières Rosières : on peut lui faire confiance pour choisir du bon matériel !
Kim Kardashian n’a donc rien inventé : monétiser sa célébrité n’a rien de neuf.
Une audience qualifiée
Ce qui différencie les influenceurs, c’est d’abord le canal des réseaux sociaux, qui postule un rapport plus direct au public des « followers ». Un public parfois très large pour les grands influenceurs, mais qui peut aussi être très restreint et ciblé : des segments qui peuvent intéresser spécifiquement certains annonceurs (une communauté de fans de bricolage, par exemple) : on parle alors de « micro-influenceurs ».
Création de contenus
C’est ensuite la création de contenus : Eddy ou Johnny n’auraient jamais songé à concevoir eux-mêmes des publicités pour Salik ou Gini. À l’inverse, un influenceur digne de ce nom ne va pas se contenter de reprendre le contenu de la marque : il va créer son propre post, sa propre vidéo pour en parler à sa manière. C’est aussi ce qui fait son expertise.
Une image à défendre
Enfin, l’influenceur prétend aussi à une certaine distanciation : pour être crédible auprès de son public, il doit veiller à ne pas verser dans une promotion « aveugle » de n’importe quel produit – certains parleront d’éthique. Pour reprendre l’exemple précédent, l’influenceur qui s’est bâti une réputation d’expert du bricolage risquerait de ruiner son image en vantant un outil bas de gamme, fragile ou peu performant.
L’influenceur s’inscrit cependant bien dans une relation transactionnelle avec un client, où la promotion de la marque ne se fait pas sans contrepartie, qu’elle soit sonnante et trébuchante ou qu’elle prenne la forme d’avantages (des outils de bricolage offerts, par exemple). Il ne faut donc pas s’attendre à ce que l’influenceur soit neutre et objectif.
Toucher d’autres publics
Ce qui a commencé comme un passe-temps pour beaucoup est devenu un métier pour certains. À la fois personnalités du web, experts dans leurs domaines et créateurs de contenus, les influenceurs peuvent-ils vous être utiles à vous promouvoir ?
« Oui », répond Vincent De Coster, expert en marketing retail. « On constate aujourd’hui que les schémas classiques des stratégies marketing sont en train d’atteindre leurs limites. On a besoin d’autres relais et celui-là semble intéressant. Les influenceurs touchent des publics qu’on n’atteint plus, ou qu’on n’a peut-être jamais atteint via les mass médias. Je pense aux préados, adolescents, jeunes adultes, qui ne regardent plus ou très peu la télévision. Certaines audiences ne sont plus présentes sur les canaux classiques, il faut les joindre par d’autres voies. Les influenceurs en font partie. »
Communiquer des valeurs
Outre cette audience, les influenceurs apportent une autre façon de communiquer, plus informelle, « moins directement, moins ouvertement publicitaire », indique Vincent De Coster. Un mode informelassocié, à tort ou à raison, avec certaines « valeurs » sur lesquelles la publicité peine à convaincre. « Il se dit que le covid va pousser davantage les gens vers la recherche de sens, ce qu’on appelle un peu pompeusement le ‘meaningful marketing’. Certaines enseignes n’ont pas besoin pour ça des influenceurs, parce qu’elles représentent déjà l’antithèse d’enseignes traditionnelles ; ce sont elles qui ont de l’influence. D’autre marques ont davantage besoin d’une validation parallèle que peuvent leur apporter des influenceurs, en contribuant à cette communication des valeurs. »
Confusion des genres
Florence Legein, Press & Public Relations, préfère quant à elle ne pas s’associer aux influenceurs. « Parce que je ne suis pas dans cette culture-là », dit-elle, estimant les influenceurs « un peu légers ». « Pour beaucoup d’entre eux, c’est une activité annexe, et lorsque c’est leur activité principale, je trouve qu’ils manquent de réflexion et de profondeur. Dans mon domaine, où je traite souvent d’immobilier, d’entrepreneuriat, d’événementiel, je trouve que les contenus proposés par les influenceurs manquent de matière. Je n’ai pas le même fonctionnement. »
Ce qui gêne le plus Florence Legein, c’est l’estompement des limites entre publicité et information : « Il y a une nette différence avec la presse. On ne paie pas un journaliste pour qu’il vous relaie. On éveille son intérêt, on attise sa curiosité… C’est une autre déontologie. La démarche des influenceurs est une technique de vente, plus proche du marketing et de la publicité que de l’information : on paie pour transmettre le message que l’on souhaite. »
Manque de régulation
Il est vrai que le caractère promotionnel n’est pas toujours clairement assumé, pas plus que la nature transactionnelle des relations entre influenceur et donneur d’ordre. C’est qu’il n’y a pas non plus de « conseil des influenceurs », comme il en existe pour la publicité ou les médias, qui ait l’autorité nécessaire pour définir et faire appliquer une déontologie, recevoir les plaintes, rappeler à l’ordre… En fait, ce sont les utilisateurs qui restent les mieux placés pour sanctionner les dérives, en se détournant de certains influenceurs peu scrupuleux : c’est le jugement de la vox populi souvent observé sur les réseaux.
Dépasser le buzz
Ceci ne doit pas vous détourner des influenceurs, mais vous inciter à bien les choisir, en vous assurant qu’ils s’accordent aux valeurs de votre entreprise, en vérifiant leur audience et son degré d’engagement, puis en définissant bien leur mission.
Florence Legein et Vincent De Coster s’accordent pour le dire : le marketing d’influence est devenu une tendance que l’on ne peut plus ignorer. « J’ai déjà eu des clients qui s’intéressaient aux influenceurs », précise Mme Legein, « mais je ne ressens pas encore de vrai besoin de leur part, du moins dans mon domaine. Si on y fait appel, je pense qu’il est important que le client soit bien informé. »
Pour Vincent De Coster, « Il reste encore beaucoup à faire et à rationaliser pour dépasser l’effet de buzz du marketing d’influence. » Il s’attend d’ailleurs à ce qu’un « tri » s’opère entre célébrités et influenceurs : « Les premiers ont de l’influence sur un certain public parce qu’ils sont connus, à l’exemple de Kim Kardashian, tandis que les seconds sont influents parce qu’ils apportent des avis pertinents, structurels, dans un domaine pointu comme la décoration, par exemple. Ce sont les influenceurs de ce type qui pourraient tirer leur épingle du jeu : ceux qui ont quelque chose à raconter, au-delà de ce qu’ils sont. »